Ce que les neurosciences et l’orthopédagogie nous apprennent sur cette attention extrême

« Quand ça m’intéresse, je peux passer des heures dessus. Le monde autour disparaît. »
Cette phrase, souvent partagée par des personnes avec TDAH, illustre un phénomène aussi fascinant que méconnu : l’hyperfocalisation.
Une double définition de l’hyperfocalisation
🔬 Du point de vue des neurosciences, l’hyperfocalisation désigne un état d’attention intense, presque exclusive, durant lequel le cerveau concentre toutes ses ressources cognitives sur une tâche ou un stimulus, en inhibant tout le reste. C’est un processus non volontaire, déclenché par une stimulation perçue comme hautement motivante ou gratifiante sur le plan émotionnel ou sensoriel. Chez les personnes avec TDAH, il s’agit d’un effet paradoxal du dysfonctionnement de la régulation attentionnelle.
📚 En orthopédagogie, on considère l’hyperfocalisation comme une forme d’attention captée, dirigée de manière rigide et passionnée, souvent autour d’un intérêt spécifique ou d’une tâche signifiante. Elle peut être vécue à la fois comme un moteur puissant d’apprentissage ou comme un obstacle à la flexibilité et à la gestion du temps. L’enjeu pédagogique consiste à reconnaître ce fonctionnement pour l’accompagner, en aidant l’élève à retrouver de l’autonomie dans le pilotage de son attention.
Comprendre l’hyperfocalisation : une attention extrême, mais pas automatique
L’hyperfocalisation, ce n’est pas « juste » une grande concentration. C’est un état neurologique dans lequel le cerveau mobilise massivement ses ressources attentionnelles, mais de manière non régulée.
🧠 Dans le cerveau, plusieurs réseaux sont impliqués dans l’attention :
- Le réseau exécutif central, qui permet de maintenir un objectif et de résister aux distractions.
- Le réseau de saillance, qui filtre les informations pour décider ce qui mérite notre attention.
- Et le réseau du mode par défaut, lié à la rêverie, à la créativité… et à la distraction.
Chez les personnes avec TDAH, la coordination entre ces réseaux est atypique. Résultat : l’attention peut passer d’un extrême à l’autre :
- Difficile à mobiliser quand la tâche est perçue comme ennuyeuse ou trop exigeante.
- Mais suractivée quand un intérêt fort ou une stimulation émotionnelle est présente.
C’est là que naît l’hyperfocalisation.
Pourquoi le TDAH favorise-t-il l’hyperfocalisation ?
Le cerveau avec TDAH fonctionne avec un profil dopaminergique particulier.
🔬 La dopamine, ce neurotransmetteur clé de la motivation et de l’attention, circule moins efficacement. Cela rend le cerveau « en recherche de stimulation ».
Quand une activité devient suffisamment stimulante (intérêt fort, challenge, nouveauté), le cerveau s’active intensément… et peut entrer dans un tunnel attentionnel, difficile à quitter.
L’hyperfocalisation devient alors une stratégie (non consciente) pour compenser le sous-fonctionnement attentionnel habituel.
C’est une réponse adaptative… mais qui, sans cadre, peut devenir envahissante.
Les forces de l’hyperfocalisation, vues par les neurosciences
👉 Une fois déclenchée, l’hyperfocalisation active plusieurs zones cérébrales de façon synchronisée :
- Le cortex préfrontal dorsolatéral, lié à la planification et à la concentration.
- Le striatum, impliqué dans la motivation et le plaisir d’agir.
- Le cerveau émotionnel (amygdale, hippocampe), qui renforce l’engagement quand une tâche est liée à une émotion forte.
Résultat :
✅ Un état de flow, proche de la performance optimale.
✅ Une capacité à produire, créer, comprendre… avec intensité.
✅ Une immersion totale dans l’instant présent, propice à l’apprentissage en profondeur.
Mais attention : un équilibre fragile
Les neurosciences nous alertent aussi sur les limites cognitives et physiques de cet état :
- L’hyperfocalisation peut court-circuiter les fonctions exécutives, comme la gestion du temps ou la flexibilité mentale.
- Elle consomme beaucoup d’énergie cérébrale, ce qui peut mener à un effet « crash » après coup (fatigue, irritabilité, désorientation).
- Elle n’est pas toujours contrôlable : le déclenchement peut être imprévisible, voire interférer avec d’autres tâches importantes.
5 clés pour canaliser positivement l’hyperfocalisation

Voici des pistes concrètes issues des recherches en neuroéducation pour transformer l’hyperfocalisation en levier :
1. 🔄 Introduis des transitions douces
Le cerveau TDAH a du mal à « décrocher » brutalement. Propose des rituels de fin de tâche (musique, respiration, petit mouvement) pour sortir en douceur de l’hyperfocalisation.
2. ⏱ Structure le temps de façon visible
Utilise des outils visuels (time-timer, sablier, planning graphique) pour rendre le temps tangible et éviter les oublis (repas, sommeil…).
3. 🧠 Crée un environnement d’apprentissage stimulant
Quand c’est possible, intègre les centres d’intérêt de la personne dans les contenus : cela favorise une concentration positive, non subie.
4. 🤝 Valorise les réussites issues de l’hyperfocalisation
Reconnaître les moments où cette capacité a permis d’avancer, de créer ou de réussir donne confiance et change le regard porté sur soi.
5. 🧘 Apprends à repérer les signaux de surcharge
Aide la personne à identifier les signes d’alerte internes (tension corporelle, yeux secs, agacement) pour prévenir l’épuisement cognitif.
En conclusion : l’hyperfocalisation, un terrain d’exploration pédagogique
Loin d’être un défaut à gommer, l’hyperfocalisation chez les personnes TDAH est une ressource précieuse, à condition d’en comprendre les mécanismes et d’en poser les limites.
Les neurosciences nous montrent que derrière l’instabilité attentionnelle se cache un potentiel d’engagement et de performance unique.
🧭 Pour les parents, enseignants et accompagnants, le défi est donc de transformer cette intensité en moteur :
➡️ En adaptant l’environnement
➡️ En co-construisant des stratégies
➡️ Et en valorisant ce fonctionnement atypique mais riche.